Quelques extraits du passage de Dominique de Villepin sur Radio Classique, le 18 octobre

Publié le par L'équipe du Blog

Retrouvez ici quelques extraits de l'émission « Hees bien raisonnable?» animée par Jean-Luc Hees. La bande son sera bientôt disponible à l'écoute dans l’espace Dailymotion.

[…]

DDV :
Tous les sujets m’intéressent et nous vivons une époque passionnante où il y a beaucoup de vérités à rectifier, beaucoup d’idéaux à défendre, donc je ne crois pas qu’on perde son temps quand on s’attarde sur Napoléon pour essayer de comprendre comment fonctionne le pouvoir, et l’idée que l’on en a est souvent très différente de la réalité. Alors on peut parler de 1800 sans oublier l’époque actuelle.
 
JLH : C’est pour ça que l’Histoire vous passionne, d’ailleurs.
 
DDV : Oui, parce que je pense qu’il y a plein de leçons à tirer, et des leçons qui pourraient êtres très utiles pour aujourd’hui comme pour demain.
 
Sur la solitude du pouvoir :
 
[…]
 
DDV : Je pense que pour un responsable, ce sentiment d’incertitude, ce sentiment de doute, cette inquiétude permanente dans laquelle vit l’homme de pouvoir, est un élément qui le change profondément.
 
JLH : Est-ce un élément sain ou malsain ?
 
DDV : C’est un aiguillon bien sûr, et c’est en même temps quelque chose d’insupportable, et face à cet insupportable chacun réagit de façon différente […]
 
DDV : Non seulement il ne convainc pas [Bonaparte lors du 18 Brumaire], mais chose très rare en politique, et c’est une des grandes clés du génie de Bonaparte : il le sait ! Très souvent, les hommes politiques ont tendance à s’abuser eux-mêmes sur leurs forces et leurs faiblesses. Moi, ma conviction, c’est qu’une des forces du personnage c’est qu’il est lucide sur lui-même. […] L’homme qui revient pour donner un message aux Français et pour ensemencer l’avenir [le retour de l’Ile d’Elbe] et c’est là où cet homme qui a, dans le fond, très largement trahi l’idéal de la Révolution, l’esprit des libertés, revient pendant les 100 jours de l’Ile d’Elbe, pour apporter un message de liberté. Et ce sera les formidables conversations avec Benjamin Constant sur les actes additionnels aux Constitutions de l’Empire, et là il y a quelque chose de très fort parce que même si nous n’en tirons pas profit dans l’instant, cette réflexion sur la place des libertés ne cessera de grandir pour finalement déboucher sur la République.
 
JLH : Quand on sait tout cela, la fragilité, la complexité du pouvoir, le caractère foncièrement tragique du pouvoir [...], qu’est ce qui fait courir les hommes après le pouvoir?
 
DDV : Je crois que ce qui est fascinant, et c’est particulièrement vrai dans le cas de Napoléon, c’est le sentiment, à un moment donné, non pas qu’on peut tout bouleverser, tout changer, mais qu’on peut infléchir le cours des choses, et dans le génie napoléonien il y a celui de l’alchimiste ; l’homme qui à un moment donné, confronté à ce torrent révolutionnaire, à ces torrents révolutionnaires, à ces grandes peurs, à ces passions, est capable d’apprivoiser cette force pour la transformer. Il faut bien voir qu’il est confronté avec une révolution qui ne s’arrête pas et qui ne cesse d’enchaîner malheur après malheur, terreur après terreur, et il est celui qui, à un moment donné, va dompter ces forces et il va donner un gouvernement à la France. Il va donner des institutions à la France. Il va stabiliser en quelque sorte ces forces révolutionnaires […] Cet alchimiste sait tirer le meilleur des passions françaises, tirer le meilleur de notre tempérament français, et ça reste d’une actualité formidable […] et s’il y a une angoisse de l’homme politique, c’est celle-là et elle n’est, il faut le savoir, jamais acquise, c’est le problème de la légitimité […] Il faut savoir que cette onction là [le suffrage, l’élection] ne suffit jamais […]
 
JLH : […] Il va en Égypte. C’est son grand rêve pour être Alexandre. Cela ne se passe pas très bien comme il veut. Il en parle. Il a une vision de ça qui est totalement poétique d’ailleurs.
 
DDV : Oui mais qui est profondément enraciné dans l’imaginaire et l’inconscient français. C’est un homme qui, bien que Français d’un an, puisque la Corse n’est rattachée à la France que depuis un an quand il naît, un Français de hasard se sentant très peu Français d’abord […] Il devient Français par la Révolution : il apprivoise, il est apprivoisé. Il apprivoise la France et il est apprivoisé par la France à travers la passion révolutionnaire. Et ça, c’est particulièrement important parce qu’il connaît l’imaginaire français. Il connaît les attentes des Français. Il sait parfaitement que les Français veulent la paix et l’ordre, et il donnera à la France la paix et l’ordre […] Il sait que les Français sont épris d’absolu. Il sait que les Français ont un rêve qu’ils poursuivent. Il sait que nous sommes nourris par un esprit de transcendance et d’absolu et il en joue […]
 
[…]
 
DDV : Il touche quelque chose qu’on ne retrouve pas toujours sous la plume des mémorialistes, qui est le feu napoléonien. Il y a vraiment quelque chose qui brûle Bonaparte de l’intérieur, et Napoléon par la suite. Il y a quelque chose qui le brûle profondément et qui est en rapport avec l’esprit français, cet esprit d’absolu, cette quête de quelque chose de différent. Contrairement aux Anglais et aux Américains, nous n’avons pas trouvé la paix avec la Révolution […] Nous n’avons pas trouvé les bases d’un consensus. Nous avons donné un gouvernement à la France, et c’est vrai pour la IIIème République. C’est vrai encore aujourd’hui, et je pense que la Constitution de 58, à ce titre, n’a pas de raison d’être changée en profondeur […]
 
[…]
 
JLH : Vous avez éprouvé ça, cet esprit de cour, vous Premier ministre, quand on est à Matignon, les courtisans?
 
DDV : Je dirais qu’en deux ans il est difficile pour l’esprit de cour de se former, mais tout pouvoir secrète cette tentation, secrète ces comportements, secrète ces mauvaises habitudes, et rien n’est pire qu’à un moment donné, de s’abandonner. Mais la peur aidant, c’est vrai que la tentation existe. Quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, c’est facile d’écouter ceux qui rassurent, ceux qui veulent dire "tout va bien, tout ira bien". Donc je crois que c’est un travail sur soi-même, et c’est pour ça que je pense que la solitude est indispensable au pouvoir. On veut parfois considérer que l’homme de pouvoir doit, en permanence, être en action, s’agiter, être partout en même temps.
 
JLH : Je ne vois pas à quoi vous faites référence.
 
DDV : C’est une récurrence dans notre Histoire. L’homme de pouvoir a besoin de solitude. Ce n’est pas perdre son temps que d’être capable de s’isoler pour faire le point, pour fixer le cap, pour très sereinement, être capable de retrouver ses repères. Je crois que c’est indispensable. On l’a vu avec Napoléon, on le voit avec le Général de Gaulle ; on a besoin de cette méditation avec soi-même. On a besoin de cette méditation avec quelques proches qui vous permettent de véritablement regarder les choses avec la sérénité nécessaire.
 
[…]
 
DDV : Sur le caractère inéluctable de la chute de Napoléon : ma conviction, c’est que depuis le début, compte tenu des circonstances c’est-à-dire le trouble révolutionnaire ; compte tenu du tempérament de ce jeune homme qui débarque en France ; compte tenu de ce qu’est l’Europe dans ce temps-là, la bataille de Napoléon, l’épopée de Napoléon ne pouvait pas durer beaucoup plus longtemps. C’est déjà un miracle qu’il tienne jusqu’en 1815 mais il y avait trop de fatalité, trop de forces contraires, trop de vents contraires contre lui pour que cela puisse durer plus longtemps […]
 
[…]
 
DDV : […] Dans l’époque napoléonienne, il faut bien voir qu’on est dans une incertitude générale. On est dans une société bouleversée. On est dans des valeurs qui sont totalement changées et il faut tout bâtir, tout construire et il faut la vision, il faut le sang froid de cet homme pour, petit à petit, recomposer, redonner du sens, remettre l’envers à l’endroit […]
 
[…]
 
DDV : […] on voit réapparaître la cour non plus sous forme d’institutions, mais sous forme d’esprit de cour (jusqu’à nos jours), et ma conviction c’est que l’esprit de cour est finalement somme toute plus pernicieux que la cour elle-même.
 
JLH : Vous avez été agacé souvent ?
 
DDV : Oui ! Oui parce que j’ai été frappé de voir que la courtisanerie, la flatterie, l’indécision de beaucoup de gens de cour, eh bien finalement ça paye. Et j’ai souvent été révolté, comme tous ceux qui croient qu’il faut être juste quand on est dans les allées du pouvoir, révolté de voir que beaucoup de ceux qui réclamaient pour eux-mêmes des mérites et des satisfactions, eh bien finalement avaient gain de cause. Alors pour beaucoup de raisons; parce que parfois on est las d’être importuné par un quémandeur, et que finalement on lui donne ce qu’il souhaite, mais malheureusement l’esprit de cour paye, paye trop souvent, et puis c’est vrai que le pouvoir est si difficile que d’aucuns préfèrent s’entourer de flatteurs que de conseillers qui ont tendance à prévenir du rocher qui arrive, de la difficulté qui surgira, et on le sait tous : « le porteur de mauvaises nouvelles aura la tête tranchée. »
 
JLH : Au fond, quand on lit, il y a beaucoup, beaucoup de pages ; c’est une lecture très dense et très très informée, et je dois vous donner gré du fait que vous donnez les citations, les sources, tout est là. Il y a une rigueur qu’on ne trouve pas toujours dans les livres d’Histoire, mais votre relation à Napoléon, hormis tout ce que vous pouvez admirer dans l’homme politique […] On a l’impression que vous admirez le côté esthétique de Napoléon…
 
DDV : Je ne cède pas du tout à cette tentation d’un Napoléon homme exceptionnel par lui-même. Ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de comprendre comment, en ce temps-là, compte tenu des contraintes immenses qui étaient celles de cette époque, comment il arrive au pouvoir, comment il reste au pouvoir et comment il l’exerce, et avec quel but. Et ce que je veux faire ressortir, c’est l’homme de chair et de sang, pas la construction mythique, pas l’homme de légende, parce qu’il y a beaucoup d’ouvrages qui se sont attelés à peindre une figure sans faille de Napoléon. Moi au contraire, ce qui m’intéresse, c’est ses failles. Comment ça marche. Comment en dépit de ses fragilités, comment en dépit de ses peurs, comment en dépit de ses doutes, cet homme se construit, et il y a quelque chose de passionnant dans l’homme de pouvoir qu’était Napoléon, c’est que c’est quelqu’un qui passe son temps à se poser des questions. L’homme de pouvoir, l’homme politique a souvent l’image de quelqu’un qui est pétri de certitudes, qui sait exactement là où il faut aller, comment il faut y aller, qui donne des leçons à tout le monde, Napoléon se pose des questions. Il s’interroge. Les conversations qu’il a avec beaucoup de ceux qui l’entourent, des conversations ; avec Caulaincourt revenant de Russie ; tout ça est extrêmement riche. C’est un homme qui s’interroge, qui brasse une quantité d’informations, d’idées, en permanence. L’époque évidemment l’aide à cela, mais il y a ce tempérament, il y a cette fièvre intérieure qui fait que rien n’est jamais acquis. Il remet en permanence les choses sur la table, parce qu’il sait que tout est fragile […]
 
JLH : Je voulais savoir ce que vous pensez de Robespierre  […]
 
DDV : Il est un visage de la France et à quelque époque que ce soit, on retrouve cet héritage, cette passion absolue, cette idée quen allant jusqu’au bout on trouvera la vérité, et c’est vrai que c’est, pour un pays qui parfois hésite dans la marche à suivre, pour un pays qui donne le sentiment de flotter entre plusieurs destins, la tentation robespierriste, la tentation d’aller vite jusqu’au bout, sans concession, est une tentation permanente […]
 
JLH : […] Est-ce que c’est dur de ne pas être aux affaires ?
 
DDV : Mais non, pas en ce qui me concerne ! Ce qui est passionnant quand on est aux affaires, c’est la possibilité qu’on a d’infléchir le cours de certaines choses. Encore faut-il choisir très précisément ce que l’on veut faire bouger et se fixer des objectifs précis. Mais l’exercice du pouvoir doit s’accompagner de temps de distance, de temps de réflexion, de temps de pause. Je ne crois pas qu’on puisse faire longtemps cet investissement si fort, si lourd, y compris en termes personnels, sans avoir besoin de se ressourcer. Alors on peut le faire quand on est au pouvoir dans certaines périodes.  Et puis on a besoin de lire. On a besoin de retrouver des racines. On a besoin de retrouver du temps. On a besoin de retrouver de la liberté. On a besoin de retrouver une vie intérieure, toutes choses qui sont très difficiles à préserver dans l’exercice du pouvoir parce que les crises sont innombrables. Il y a toujours un front qui s’allume. C’est vrai de difficultés sociales. C’est vrai de difficultés internationales. C’est vrai de difficultés économiques et cette tension, cette inquiétude, cette angoisse vous changent, et si on n’y prend pas garde, pas toujours pour le meilleur. Donc il faut recaler en permanence. C’est comme en voile. Il faut savoir en permanence refixer son cap, recaler sa route et se ressourcer, se renouveler. Je crois que c’est comme pour tout homme, on a besoin véritablement de se réinventer, d’où l’importance de cette respiration en dehors du pouvoir.
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S
C'est amusant pour moi, cher villepiniste, que vous évoquiez le philosophe quand vous pensez à Dominique de Villepin, car que je retrouve ainsi dans vos propos ce que je pense de ce grand homme. Pour moi c'est un vrai philosophe et c'est pour sa sagesse que je l'apprécie grandement. Cet homme n'est pas une perle rare c'est un diamant!
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V
Je trouve qu'il s'exprime très bien sur le fait qu'un homme de pouvoir de qualité se pose des question permanentes , s'interroge , cherche , et remet sans cesse en question ses certitudes .( C'est à peu près la définition du philosophe parfait des lumières ) Par ailleurs le fait de se ressourcer est un élément capital . On peut pas rester en permanence au pouvoir car pendant ce temps là , le monde est en constante mutation et ttransformation .
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P
Eric P,<br /> <br /> Mais, si, le "frère jumeau" du Président-Arnaud Lagardère- se concentre, lui,pour détruire son "frère" Nicolas Sarkozy.<br /> <br /> La preuve dans ce scoop de Challenges que vous avez raté, comme sarkozyste probablement déconcentré moralement par les "méchants villepinistes"!<br /> <br /> Vous devriez, Eric, cesser de copier le Chef en perdition en accusant les autres de vos propres fautes, cela ne trompe plus personne. <br /> <br /> J'espère que vous apprécierez le langage quelque peu "Al Capone" du personnage qui se dit un "intime" de Nicolas Sarkozy.<br /> <br /> Quelle fréquantation douteuse et quelle proximité morale ennuyeuse. Encore un qui va se faire "virer" du premier cercle, comme Laporte....<br /> <br /> La vie est dure en Sarkozye pour les amis du Président.<br /> <br /> Bonne lecture insructive des pratiques du frère moral du Président....celui qui insinuait que Dominique de Villepin aurait pu savoir pour les "délits d'initiés"!<br /> -----------------------------------------------<br /> EXCLUSIF <br /> <br /> Nouvelle plainte contre Lagardère dans l'affaire EADS<br /> <br /> Challenges.fr | 23.10.2007 | 18:24 |<br /> <br /> Le représentant de plusieurs petits actionnaires d'EADS a déposé une plainte contre Arnaud Lagardère pour acte d'intimidation et menaces.<br /> <br /> Me Frédéric-Karel Canoy, qui représente plusieurs petits actionnaires d'EADS, a porté plainte contre Arnaud Lagardère pour acte d'intimidation et menaces, mardi 23 octobre, a appris Challenges.fr.<br /> <br /> La raison de cette plainte? Lors de l'assemblée générale du groupe d'aéronautique et de défense européen à Amsterdam, lundi, Arnaud Lagardère aurait déclaré qu’il "rendra coup pour coup" et qu’il "n’oubliera personne".<br /> <br /> Des propos tenus par le patron du groupe éponyme, actionnaire de référence d'EADS, alors que le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur un éventuel délit d'initiés massif commis par des hauts dirigeants d'EADS et certains actionnaires.<br /> <br /> Plus particulièrement, ces déclarations interviendraient après le dépôt par Me Canoy le 21 octobre d'une plainte contre personne non dénommée, mettant en cause le groupe Lagardère, et son P-DG, pour, entre autres chefs d'inculpation, délit d'initiés, recel de délit d'initiés, manipulation de cours, publication de faux bilans, faux et usages de faux.<br /> <br /> Par ce biais, l'avocat entend engager la responsabilité pénale du groupe et de son dirigeant, et voir les actionnaires minoritaires d'EADS indemnisés de leur préjudice.<br /> <br /> par Flore de Bodman, journaliste Challenges.fr, mardi 23 octobre.
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M
Mais nous vous comprenons Mister Cire P...., et cela doit vous changer de l'humour noir de la Sarkosie !!!
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E
@ Philippe <br /> <br /> C'est vrai que je n'en rate pas une. En même temps faut me comprendre, le villepinisme prête à rire plus qu'à la concentration.
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